Il y a eu cette année la consultation autour du projet de loi numérique, après laquelle les (nombreux) votes en faveur du logiciel libre ont été ignorés, avec cette justification de la secrétaire d’Etat au Numérique Axelle Lemaire:
[Rue89] Pourquoi ne pouvez-vous pas contraindre par la loi l’administration à utiliser des logiciels libres?
« A part le rendre obligatoire, on ne peut pas imposer un quota ou un seuil. Le choix qui a été fait est celui de la promotion. Depuis la circulaire Ayrault de 2012, il y a eu des changements très réels dans les pratiques. Simplement, ça prend du temps. Il y a des générations d’informaticiens qui ont l’habitude d’utiliser certains logiciels propriétaires, cela suppose une réappropriation de l’outil. Aujourd’hui, on a un discours beaucoup plus « souveraineté numérique » où le logiciel libre est l’un des moyens de reprendre le contrôle des systèmes d’information. C’est une idée qui petit à petit s’impose mais pas par la loi. »
Batailles parlementaires en 2013
Comme en 2013 il y avait eu de longues batailles parlementaires sur la préférence ou non aux logiciels libres dans l’enseignement (votée finalement pour l’enseignement supérieur). L’écart entre les belles paroles et les actes en matière informatique (et dans d’autres certes 🙁 mais on sortirait des thèmes de ce blog…) est illustré ce jeudi par l’annonce d’un partenariat entre le ministère de l’Education nationale et Microsoft, qui déclenche la colère des associations libristes et de plusieurs syndicats d’enseignants et organismes liés à l’éducation.*
Dans leur communiqué commun, ces organisations soulignent que « ce partenariat prévoit de présenter une fois de plus aux élèves un logiciel privateur et des formats fermés comme seuls outils incontournables et par voie de conséquence la dépendance comme modèle à adopter. Tout cela tend à renforcer la position dominante de l’entreprise américaine, au détriment des logiciels libres et des formats ouverts, qui pourtant respectent les principes élémentaires de neutralité et d’interopérabilité. »
« Mise sous tutelle »
« Le texte intégral de l’accord, disponible [PDF] sur le site de l’Éducation Nationale, présente plusieurs axes, dont la formation des enseignants à la maitrise des environnements Microsoft en classe, la mise à disposition d’un écosystème Cloud, d’une plateforme de formation à distance. L’apprentissage du code se fera aussi sous l’égide de l’entreprise américaine. C’est donc une véritable mise sous tutelle de l’informatique à l’école, réalisée de plus sans consultation des acteurs de l’éducation, y compris en interne.
Au sein de cet accord aucune prise en considération du travail des personnels de terrain, des enseignants, des chercheurs n’a été prévue par les parties. Ceux-ci, pourtant les plus au fait des besoins des élèves, de leur administration et des contraintes liées au partage des données dans leurs établissements, ont accumulé un savoir-faire considérable que l’accord prévoit purement et simplement d’ignorer pour « former » les cadres et les enseignants aux technologies qu’ils voudraient imposer. De même, il n’est fait aucun cas de l’appel en faveur des formats ouverts dans l’éducation qui, pourtant, a été soutenu par des associations professionnelles d’enseignants, des syndicats, des entreprises, des individus, mais a été ici mis de côté.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel partenariat est signé: déjà en 2005 un accord avait été signé. Mais ce partenariat apparaît d’autant plus navrant qu’il fait suite aux récentes révélations sur l’espionnage facilité par Microsoft et sa politique de collecte d’informations personnelles de l’utilisateur. »
« Les logiciels libres sont utilisés en priorité »
Après la consultation publique autour du projet de loi numérique, le gouvernement a répondu à une proposition de l’April (« Donner la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts dans le service public national et local »), relève ce soir Framasoft:
Prioriser le libre dans le service public ? « Pas nécessaire, c’est déjà le cas. » nous répond en substance le gvt. https://t.co/OGBAobDLcJ
— Framasoft (@framasoft) 3 Décembre 2015
Dans sa réponse, le gouvernement affirme:
« L’article L123-4-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 (art. 9), prévoit quant à lui que: ‘Le service public de l’enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques. Les logiciels libres sont utilisés en priorité.’ »
On a déjà vu, en matière d’accords de ministère, le fameux contrat « open bar » de l’éditeur avec la Défense, reconduit jusqu’en 2017, qui a suscité d’abondantes protestations. Mais dans le cas de l’Education nationale, c’est le formatage de l’esprit des élèves, à travers leurs enseignants, qui choque. A propos, devinez qui était ce candidat à l’élection présidentielle de 2012 qui affirmait:
« Je souhaite que les logiciels libres de qualité, utilisant des formats ouverts normalisés, soient enseignés à l’école comme à l’université, et que leur usage soit privilégié dans les concours et examens, tant pour la bureautique que pour les usages scientifiques, techniques ou documentaires. »
* April, Adullact, AFUL, CNLL, framasoft, FSFE (Free Software Foundation Europe), FSF France , SEP-UNSA, CGT Éduc’Action, association Enseignement Public & Informatique (EPI), fédération SUD Éducation, SGEN-CFDT, AbulÉdu-fr, La Mouette et Fédération des Enseignants Documentalistes de l’Éducation Nationale (FADBEN).
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