Éducation : le Sénat demande que le service public de l'enseignement supérieur utilise en priorité les logiciels libres

Paris, le 24 juin 2013. Communiqué de presse.

Le Sénat a examiné en 1ère lecture la semaine denière le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche. Parmi les dispositions introduites par le Sénat, l'April se réjouit tout particulièrement d'une modification apportée à l'article 6 qui donne la priorité aux logiciels libres dans le service public de l'enseignement supérieur1. L'April compte sur le gouvernement, qui ne s'est pas opposé à une telle mesure en séance, pour conserver cette disposition essentielle et pour l'étendre à l'ensemble du monde éducatif, enseignement supérieur, recherche.

Dans la petite loi adoptée par le Sénat l'article 6 contient :

II. – Au même code de l’éducation, il est rétabli un article L. 123-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 123-4-1. – Le service public de l'enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques.

« Les logiciels libres de droit sont utilisés en priorité. »

Cette disposition est issue de l'amendement 30 de Mme Gonthier-Maurin, MM. Le Scouarnec, Laurent et les membres du Groupe communiste républicain et citoyen. Rappelons que ces sénateurs étaient également à l'origine de l'amendement qui donnait la priorité au logiciel libre dans le futur service public du numérique éducatif, dans le cadre du projet de loi de refondation de l'école de la République. Cette disposition avait été malheureusement vidée de sa substance par un amendement gouvernemental voté à l'Assemblée nationale.

Même si l'amendement 30 utilise le terme impropre de « logiciels libres de droits » il s'agit bien de donner la priorité aux logiciels libres. En effet, le compte-rendu de la séance du 20 juin 2013 détaille les motivations de l'amendement:

La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Cet amendement s'inscrit dans le droit fil de la disposition que nous avions présentée lors de l'examen, en première lecture, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. Elle prévoyait que le service public de l'enseignement numérique utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts.

Il nous semble tout aussi logique que le service public de l'enseignement supérieur utilise en priorité des logiciels libres de droits.

Cette disposition est en cohérence avec la recommandation contenue dans la lettre d'orientation du Premier ministre, datée du 19 septembre 2012, pour l'usage des logiciels libres dans l'administration.

Elle revêt aussi un caractère politique, celui d'un Etat qui, au sein d'un service public, choisit d'adresser un signal fort en faveur de la liberté et de l'égalité.

En effet, donner la priorité au logiciel libre dans un service public, c'est garantir un égal accès à l'ensemble des étudiants. De plus, le logiciel libre offre des garanties. Il assure une parfaite interopérabilité entre les systèmes informatiques, il évite de se voir imposer des formats qui créent une forme de dépendance technologique des utilisateurs et il est toujours accessible. Le logiciel libre offre la liberté, premièrement, d'utiliser le logiciel pour quelque usage que ce soit, deuxièmement, grâce à la disponibilité des codes sources, d'adapter le logiciel à des besoins propres et, troisièmement, de copier le logiciel sans limitation de diffusion.

Le Sénateur Le Scouarnec poursuit et rappelle qu'il n'y a pas, contrairement à ce qu'a prétendu le gouvernement lors des débats sur le projet de loi refondation de l'école de la République, de difficultés juridiques à inscrire dans la loi une disposition en faveur du logiciel libre :

Je tiens en outre à indiquer que donner la priorité au logiciel libre ne pose pas de problème en termes de concurrence, contrairement à ce qui est parfois avancé. Cela a d'ailleurs été rappelé par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 30 septembre 2011, rendu dans le cadre du choix de logiciels libres par une collectivité territoriale, en l'occurrence la région Picardie. Cet arrêt soulignait la différence entre marché de services et marché de fournitures.

Cette décision a montré que le choix d'un logiciel libre peut être fait librement par les collectivités, car ce type de logiciel ne limite pas la concurrence par la suite concernant par exemple la mise en œuvre, l'exploitation et la maintenance de l'environnement numérique du travail, ainsi que l'hébergement d'une plateforme de services.

De plus, une décision de la Cour constitutionnelle italienne, datée du 23 mars 2010, rappelle que la qualité de logiciel libre est une caractéristique fonctionnelle et non la détermination d'un produit particulier.

Ainsi, donner la priorité au logiciel libre ne soulève pas de difficultés au regard du droit de la concurrence. D'autres pays européens ont choisi de mettre en place des politiques reposant prioritairement sur des logiciels libres et des standards ouverts, sans soulever aucun problème de sécurité juridique.

Comme pour le projet de loi de refondation de l'école de la République, le gouvernement présente alors un amendement n° 327 visant simplement à tenir compte « de l’offre de logiciels libres et de documents au format ouvert, si elle existe ».

Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, explique :

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Nous sommes en parfait accord avec l'amendement no 30. C'est pourquoi, dans un souci de cohérence, nous proposons de l'articuler avec l'article 10 du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, que le Sénat a adopté voilà quelques semaines. Cela permettra de souligner la continuité entre les deux projets de loi.

Mais Dominique Gillot, rapporteure du projet de loi, explique que l'amendement du gouvernement ne crée aucune obligation et que c'est regrettable et soutient l'amendement n°30 qui crée l'obligation en faveur des logiciels libres :

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Gillot, rapporteur. Après un examen attentif de ces deux amendements, il est apparu à la commission que la rédaction du Sénat retenue dans le projet de loi pour la refondation de l'école de la République était plus claire. Elle prévoit que les logiciels libres sont utilisés en priorité. L'amendement du Gouvernement, en indiquant que le service » tient compte de l'offre de logiciels libres […], si elle existe » ne crée aucune obligation, ce qui paraît regrettable.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Tout à fait !

Mme Dominique Gillot, rapporteur. Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 30 et défavorable sur l'amendement n° 327.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 30 ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Pour ne pas polémiquer sur cette question, et même si j'aurais préféré, pour plus de cohérence, que nous soyons en parfaite harmonie avec le projet de loi pour la refondation de l'école de la République, je m'en remets à la sagesse du Sénat. En effet, nous sommes dans le cadre du débat parlementaire et vous disposez donc de votre droit d'initiative.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 30.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 327 n'a plus d'objet.

Je mets aux voix l'article 6, modifié.

Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi, il n'y aura qu'une lecture dans chaque chambre avant une commission mixte paritaire qui a pour mission d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun.

« Les Sénateurs reconnaissent de nouveau l'importance des logiciels libres pour un service public. Nous espérons que le gouvernement ne tentera pas une nouvelle fois de revenir sur l'incitation préférentielle au logiciel libre pour l'éducation, qui était l'un des engagements du candidat François Hollande 2 » a déclaré Frédéric Couchet, délégué général de l'April.

À propos de l'April

Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du Logiciel Libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'association est constituée de plus de 4 000 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, nous contacter par téléphone au +33 1 78 76 92 80 ou par notre formulaire de contact.

Contacts presse :

Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 6 60 68 89 31
Jeanne Tadeusz, responsable affaires publiques, jtadeusz@april.org +33 1 78 76 92 82

  • 1.

    Pour en savoir plus sur le service public de l'enseignement supérieur, consulter le site legifrance

  • 2. François Hollande avait répondu en avril 2013 au Conseil National du logiciel libre (CNLL) qu'il fallait prévoir pour l'État une informatique privilégiant «l'agilité plutôt que la logique des grands projets cloisonnés et coûteux » et avait souligné que «les logiciels libres permettent quant à eux davantage de mutualisation et facilitent la mise en concurrence des fournisseurs de prestations externalisées.». Plus spécifiquement, au sujet de l'éducation, il avait déclaré : «Je souhaite que les logiciels libres de qualité, utilisant des formats ouverts normalisés, soient enseignés à l'école comme à l'université, et que leur usage soit privilégié dans les concours et examens, tant pour la bureautique que pour les usages scientifiques, techniques ou documentaires».